Repoussant la porte battante de l'entrée, elle pénétra enfin dans la taverne. A force de tabac et d'alcool, la pièce baignait dans une sorte de brume stagnante et malodorante où perçaient ça et là les éclats étouffés des lampes à huile. Constatant que la plupart des clients avaient quitté les lieux, il ne restait à cette heure avancée de la nuit que les profils penchés des piliers de bar ou les silhouettes sombres de quelques sinistres personnages qui vous observaient, silencieux, dans l'ombre de leur chapeau.
"Un rhum, tavernier" demanda-t-elle en remontant le col de sa cape tandis que le gobelin tirait de sous son comptoir une bouteille. Inclinant le goulot sur le coin d'une chope, il sembla s'étonner de cette visite nocturne.. "C'est qu'on a pas l'habitude d'servir des sirènes à cette heure là, qu'est-ce qui vous amène dans c'repère à canailles m'zelle ?"
"Je cherche un homme, un certain John Dents-d'or. Vous savez peut-être où se cache le pirate ?"
"Dents-d'or.. c'est qu'on arrête pas d'le réclamer, c'vieux brigand ! J'devrais p't'être penser à d'mander une commission pour l'info" ricana-t-il en glissant la monnaie dans son veston élimé. "Si j'étais vous j'irais voir là au d'ssus, y m'semble bien qu'il a pointé l'bout d'son nez c'soir et j'crois pas l'avoir vu sortir pour aller cuver son vin plus loin".
Délaissant un verre encore à moitié plein, elle remercia le tavernier d'un geste avant de rejoindre l'étage supérieur. Un coup d'oeil autour d'elle et elle remarqua un homme assis dans le coin de la salle. Le regard vague sous son chapeau à larges bords, une pipe coincée dans un coin de la bouche, il marmonnait parfois d'incompréhensibles paroles en tournant entre ses longs doigts un vieil écu doré. Lorsque qu'elle s'approcha, il la détailla un instant avant de s'exclamer :
"Eh rouquine ! On a pas déjà croisé l'fer toi et moi ?!
- ça m'étonnerait. John Dents-d'or, je présume ?
- L'seul et l'unique ! Qu'est-ce que l'vieux Dents-d'or peut faire pour toi, ma belle ? "
D'un sourire il dévoila un ratelier où l'or se mêlait au noir d'un tas de chicots pourris par les excès tandis qu'elle tirait une chaise pour s'attabler et enfin déclarer :
"Toi et moi on a à discuter l'ami. Je cherche la Bombe et je sais que tu sauras m'aider à la trouver."